André Dallaire, l’homme qui a donné son
allant à l’AQANU

Texte tiré du Cyber-bulletin 12.11 (juillet 2022)

On ne peut parler des 50 ans de l’AQANU sans se tourner vers André Dallaire, celui qui en est, pour ainsi dire, l’idéateur, le créateur, l’instigateur. À quelques jours de son 80e anniversaire de naissance (le 20 juillet), il semble n’avoir rien perdu de sa verve, de sa fougue, de son allant. «Je suis un slinky qui n’a pas fini de bouger!»

De fait, il nourrit, c’est le cas de le dire, de nouveaux projets, venant tout juste de lancer un projet de maraîchage sur une de ses terres que seules des vaches fréquentaient jusqu’alors. Et pas qu’un petit projet : vingt arpents de culture au bénéfice de la sécurité alimentaire!

Le projet est si récent qu’il n’a pas encore de nom. Pour en esquisser les grandes lignes, André Dallaire récite le Notre Père, insistant sur le «Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien».

C’est que l’homme est croyant. Il l’a toujours été.

Il garde en mémoire sa rencontre avec un des pères Blancs, le père Blais, «qui avait la barbe jusqu’au nombril». Le religieux parlait de mission et de lions en Afrique. Rencontre déterminante, fondatrice pour le jeune Dallaire alors âgé de 10 ans.

«Ses idées ont fait du millage!», s’exclame André Dallaire. Tant et tant qu’avec son épouse et son premier enfant de 6 mois, bardé d’une maîtrise en pédagogie en sciences religieuses et morales, il s’installe dans la brousse africaine, en Zambie.

La famille y demeure pendant six mois, lui étant prof de «n’importe quoi» dans une des écoles des pères Blancs.

Précédemment, le jeune universitaire s’était beaucoup engagé auprès de Mundo laquelle, à la suite de sa «mission» africaine, aurait pu lui procurer un emploi permanent.

«L’apprentissage par le vécu»

La vie… et lui en ont décidé autrement. Le ministère de l’Éducation lui propose de créer un programme de sciences religieuses pour les futurs enseignants.

Il se trouve à Montréal, a découvert ce qu’étaient l’ONU et ses agences, notamment la FAO, demeure soucieux des problèmes à l’échelle planétaire et, surtout, a toujours été animé par son âme beauceronne.

Car il s’en réclame de cette fameuse fibre entrepreneuriale qu’on a l’habitude d’attribuer aux Beaucerons.

Ainsi, c’est avec le désir de «brancher les élèves (entendons par là les normaliens) aux réalités des deux tiers du monde» et en pensant que cela ne peut se faire dans une classe théorique, qu’André Dallaire développe l’idée d’organiser des stages. «L’apprentissage par le vécu», son leitmotiv.Pour implanter son projet de stages aux Antilles, il multiplie les démarches et, en 1968, se rend en Haïti, en Guadeloupe et en Martinique. Il lui faut établir des relations avec des communautés religieuses, repérer les lieux où pourront loger et œuvrer les stagiaires.

André Dallaire, il y a 20 ans, avec un de ses protégés dans un orphelinat de la banlieue de Port-au-Prince (Photo gracieuseté)

Les premiers stages

Les séjours comportent trois dimensions. Les participantes et participants ont à produire un rapport de leur séjour alors qu’ils auront assisté à des conférences, procédé à des recherches. Ils ont aussi à effectuer du travail manuel, creuser un puits, construire une école, etc. Ils ont aussi à faire la tournée des autres points de chute, ce qui leur fait voir plusieurs régions du pays et les confronte à diverses réalités.

Le premier stage s’organise en 1969, sous les auspices de l’Association canadienne des Nations unies (ACNU), plus précisément la section Ville-Marie.

La formule obtient un tel succès que le second stage, celui de 1970, débarque 180 personnes en Haïti et 80 en République dominicaine, la Guadeloupe et la Martinique ayant alors été éliminées de la carte. Désormais, ce ne sont plus seulement des futurs enseignants qui participent aux stages. Des jeunes et des adultes se sensibilisent au développement international en séjournant.

Au début des années 1970, une mésentente engendre la bisbille entre les membres de la section Ville-Marie et l’ACNU. «C’est le début de la fin des stages en Haïti sous les auspices de l’ACNU.»

 La genèse de l’AQANU               

Mais c’est la genèse de l’AQANU puisque les activités autrefois sous l’égide de la section Ville-Marie de l’ACNU se poursuivent, de même que les stages grâce à des «patriotes», comme il les désigne, les Roland Gingras, Robert Arsenault, Pierre Dextraze (les trois signataires de la charte) et Lise Tellier. Tous quatre avaient participé aux stages de l’ACNU.

«1972, c’est l’année grouillante, l’«année des grandes transformations», se souvient André Dallaire.

Pendant trois ans, dégagé de ses fonctions pédagogiques, il assure la permanence de l’AQANU, dispose d’un bureau au 4824, Côte-des-Neiges à Montréal. Il fait le tour du Québec, recrute des stagiaires, passe beaucoup de temps dans le sous-sol du Victoriavillois Roland Gingras à préparer les voyages, nolise des avions, assure le suivi. Il organise même des stages en Jamaïque pour des anglophones.

Outre les stages estivaux en Haïti, il nolise des avions pour des voyages socioculturels à Pâques et dans le temps des fêtes. «On disait «ok» pour le grillage de nombril, mais il fallait aussi que les voyageurs passent au moins deux jours dans les mornes et les plaines d’Haïti.»

Il se souvient de ce voyage de 1972 alors qu’atterrissait le plus gros avion de toute l’histoire haïtienne à se présenter à l’aéroport de Port-au-Prince avec ses 360 passagers. «Ils avaient dû descendre d’abord par une échelle de bois et il avait fallu utiliser un «tape à mesurer» pour s’assurer que l’avion puisse se retourner au bout de la piste!»

Toujours pour l’AQANU, André Dallaire a lancé d’autres initiatives, comme ces voyages à New York pour sensibiliser les participants aux missions internationales de l’ONU.

C’est aussi à lui que, pendant une bonne décennie, ont été offerts des Camps d’éducation de développement international (CEDI) à des jeunes ou à des adultes, l’été, les soirs de semaine ou les fins de semaine. Ces camps de simulation ont fait les manchettes. Les animateurs ont dû se défendre jusque devant un tribunal, alors qu’on leur reprochait d’être des «tortionnaires» tant la simulation de conditions de misère était convaincante, rappelle André Dallaire en riant.

Avec la comédienne Angèle Coutu comme porte-parole, André Dallaire avait aussi proposé la formule «vacances services», celle-là destinée à une clientèle de personnes retraitées désireuses d’œuvrer pour quelques jours dans un établissement haïtien. Ce service leur permettait de continuer à partager leur expertise.

«Un autre 50 ans à l’AQANU!»

L’écart s’est finalement creusé entre les intentions de l’AQANU et les activités d’André Dallaire, de sorte qu’il s’en est distancié. «L’AQANU voulait se concentrer sur l’appui de projets en Haïti.» C’était au début des années 1990.

Reste qu’il a toujours suivi l’évolution de l’Association. «Je savais que c’était une roue qui allait tourner longtemps. Je souhaite d’ailleurs un autre 50 ans à l’AQANU, de l’ouverture et de la sympathie à l’égard des autres êtres humains.»

André Dallaire soufflera 80 bougies le 20 juillet

S’il avait prévu la longévité de l’AQANU, il n’aurait pas cru à une aussi grande dégradation des conditions haïtiennes, dont ce triste décompte de 502 kidnappings depuis le début de l’année.

Résidant depuis 50 ans à Saint-Jean-de-Matha, il ne s’est pas éloigné d’Haïti, y menant ses projets et activités à titre personnel.

Il y possède d’ailleurs une maison et a construit deux usines à Croix-des-Bouquets, l’une pour fabriquer des briquettes de charbon, l’autre des bûchettes. La première a été vandalisée, démantelée, toutes les pièces ayant été vendues en Chine, déplore-t-il. La seconde tient encore debout, mais ne fonctionne plus.

Lui et son épouse ne sont pas retournés dans leur maison haïtienne depuis trois ans. «Avec des trous de balle dans la barrière, on a été obligés de revenir. On ne voulait pas risquer de le faire dans un sac de plastique.»

Il dit que l’AQANU a fouetté son «ardeur de développeur».  Il se réjouit du partenariat que l’AQANU a noué avec l’UPA-DI.

La lutte à la désertification, le soutien de la paysannerie haïtienne, l’offre de microcrédit constituent des moyens essentiels pour ce «pays qui descend dans la mer», faisant allusion aux terres agricoles qui se lessivent à la moindre pluie.

Père de trois enfants, grand-père de quatre petits-enfants, il dit qu’il reste attaché à Haïti, par «sympathie humaine». «Tant qu’à se dévouer, on ne peut le faire pour 100 pays à la fois.»

S’il ne peut y remettre les pieds ces temps-ci, reste que des Haïtiens l’interpellent et leurs appels sont déchirants. «Que répondre à cet enfant qu’on a fait instruire et qui ne peut, aujourd’hui, poursuivre ses études à l’université parce qu’il a peur de se faire kidnapper?»

La réponse reste difficile, même pour un André Dallaire.

Hélène Ruel

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