Financement de l’AQANU : grandeurs et misères

Ce texte est tiré du Cyber-Bulletin 10.1 de l’AQANU

Les statistiques compilées par Grégoire Ruel le démontrent clairement. Il y a eu un «avant» et un «après» 2010 dans l’histoire des finances de l’AQANU. Et on ne fait pas ici référence au terrible séisme en Haïti. On évoque plutôt le changement d’approche de ce qui était l’ACDI (Agence canadienne de développement international).

Entre le moment de la fondation de l’AQANU en 1972 et l’année 2010, 190 de ses 214 projets en Haïti se sont réalisés avec l’aide financière de l’ACDI, cette dernière allouant une somme de 3 550 413 $. L’AQANU et ses partenaires avaient injecté 1 888 308 $ pour compléter le financement.

À partir de 2010 et jusqu’en 2017, excluant le projet de plus d’un million $ pour la construction de l’École de formation professionnelle Mark Gallagher à Rivière-Froide, l’AQANU ne pouvait s’engager que dans un total de 25 projets en Haïti.

Oeuvrant depuis 1970 à l’AQANU, l’ayant aussi présidée entre 2008 et 2014, toujours actif dans la région de l’Outaouais, Grégoire Ruel se souvient du moment où l’agence fédérale modifiait ses critères d’accessibilité au financement des projets de développement international. Jusqu’alors les projets de l’AQANU bénéficiaient d’une aide fédérale équivalant à 75% des coûts.

Exit l’AQANU

Les nouvelles conditions de ce qu’on appelait l’ACDI excluaient d’emblée une organisation comme l’AQANU, admet Grégoire. Pour des raisons mathématiques et administratives, pourrait-on résumer.

D’abord, les revenus et les actifs moyens de l’organisation en quête de financement gouvernemental devaient être plus élevés que la somme demandée, critères difficiles à respecter pour l’AQANU. Ensuite, les procédures de présentation du projet nécessitaient une expertise que ne possédait pas l’AQANU.

«Oui, répond Grégoire, on aurait pu fusionner avec une plus grande organisation, comme on nous le recommandait d’ailleurs. On a plutôt choisi de s’associer à l’UPA-DI qui nous faisait confiance en raison de notre expérience en Haïti.»

Aussi de la région de l’Outaouais, Pierre Gosselin, actif à l’AQANU depuis près de 20 ans, responsable du financement, se souvient de cette époque où l’ACDI ne demandait pas mieux que d’offrir des subventions pour des projets de développement international. L’agence fédérale trouvait en l’AQANU une organisation prête à s’investir dans les pays du Tiers-Monde. La proximité de la capitale nationale a bénéficié à l’AQANU-Outaouais, dont Pierre dit qu’elle a été, jusqu’en 2004, une «succursale de l’AQANU-Bois-Francs». Et puis, l’AQANU possédait aussi des «racines» amicales en Haïti, y ayant été présente grâce à des gens comme le Victoriavillois Ricardo Dorcal, originaire d’Haïti et Agathe Pellerin, une Québécoise résidant en Haïti depuis plus de quarante ans.

Tout un bassin de bénévoles… et de sources

Faute d’avoir accès à des sources de financement gouvernementales grâce au «dynamique Grégoire (Ruel)», précise Pierre Gosselin, l’AQANU-Outaouais a développé tout un bassin de bénévoles.

«Et toutes ces personnes altruistes nous ont permis de multiplier nos sources de financement.» Pierre donne l’exemple du Festival des montgolfières qui nécessite 20 bénévoles par jour pour vendre des bracelets d’entrée. L’AQANU profite des bénéfices des ventes réalisées par ses membres.

«Pour le financement, on est presque condamnés à ne compter que sur nous-mêmes», soutient Pierre. Il croit qu’il n’y a pas de volonté gouvernementale de s’investir dans des pays comme Haïti et que trop souvent, l’aide internationale sert plutôt les intérêts politiques des gouvernements.

L’AQANU-Outaouais s’est engagée – comme Granby et Montréal – avec UPA-DI. «Nous n’avions pas d’expertise en agriculture, mais nous avions de la bonne volonté et un partenaire haïtien comme l’Encadrement des petits paysans des mornes et des plaines d’Haïti. Même si nous sommes comme un «wagon» de l’UPA-DI, nous voulons nous assurer que notre partenaire haïtien bénéficie du projet.»

La «couleur» de Granby

Le changement d’approche de l’ACDI a eu une influence marquante sur l’AQANU, particulièrement dans les Bois-Francs et en Outaouais, lesquelles régions soutenaient plusieurs projets en Haïti avec du financement fédéral.

Mais à Granby, l’AQANU n’a jamais fait appel à l’Agence. L’association a vraiment pris de l’élan à la suite du tremblement de terre en Haïti en 2010, explique l’actuel responsable Clément Roy.

Membre de l’AQANU depuis ses premiers stages dans les années 1970, Clément Roy a entretenu des contacts «épisodiques» avec l’Association pour y prendre une part plus active à partir de 2010.

L’AQANU ne perd pas de vue sa mission de sensibilisation au développement international. (Photo Hélène Ruel)

L’AQANU-Granby possède sa «couleur», précise-t-il, ne tirant ses revenus que de deux sources, la vente de café (nOula) et le Club des 100 (qui a repris du galon). «Nous n’organisons pas d’activités de financement. Notre annuel déjeuner ne vise pas à amasser de l’argent, il cherche plutôt à sensibiliser.»

Avant de s’engager avec l’UPA-DI dans le programme Les savoirs des gens de la terre à Baptiste en Haïti, l’AQANU-Granby avait soutenu deux projets autonomes, l’un lié à la coopération chez les producteurs de café, l’autre visant le reboisement et la création d’une bourse volontaire de carbone.

Avec l’UPA-DI, dont Clément Roy dit qu’elle partage la même vision du développement que l’AQANU, «notre contribution a un impact important sur le terrain, un effet multiplicateur». L’argent canadien dépensé par les acheteurs de café, par exemple, profite largement et directement aux producteurs haïtiens. Et les 5000 $ versés par l’AQANU en microcrédit ne «restent pas dans la cagnotte». L’argent a d’abord servi à onze familles qui ont pu investir dans leur production maraîchère ou leur élevage. Leurs prêts remboursés serviront ensuite de capitaux pour d’autres familles, suscitant le fameux effet multiplicateur dont parle Clément.

«Moi qui ai été dans l’éducation toute ma vie, j’ai plutôt un penchant pour les projets agricoles qui favorisent la professionnalisation du métier, l’autonomie alimentaire. L’agriculture participe au développement économique et social, au développement durable.»

Une «fidélité» à Montréal

Du côté de l’AQANU-Montréal la responsable Danielle Marcotte parle aussi d’économie sociale et solidaire, l’Association faisant également partie de la table des partenaires de l’UPA-DI, soutenant les cantines scolaires de Rivière-Froide. Le Fonds Solidarité Sud, la Fondation Paul Gérin-Lajoie, les Cuisines et vie collectives Saint-Roch et le Groupe d’économie solidaire du Québec complètent la table.

Sensible au sort de la population haïtienne depuis un stage en 1987, Danielle Marcotte consacre plus de temps à l’AQANU-Montréal depuis 2012.

Principale activité de financement, l’annuel quillethon a commencé à s’organiser après le séisme en Haïti. La contribution montréalaise de l’AQANU était d’abord acheminée à l’AQANU-Outaouais, raconte Danielle Marcotte. Également du côté de Montréal, le Club des 100 possède toujours ses adhérents prêts à verser leurs annuels 100 $. «Il y a une fidélité à la cause», remarque Danielle.

Un avenir incertain

À peu près tous les membres questionnés sur le financement de l’AQANU s’entendent pour dire que le climat est teinté d’«incertitude», pour reprendre le mot de la responsable montréalaise. Et pas seulement en raison de l’actuelle pandémie de coronavirus qui freine au Québec l’organisation d’activités de financement.

N’est plus possible, aujourd’hui, d’organiser des stages de sensibilisation en Haïti, non plus que d’y envoyer des gens de l’AQANU pour le suivi des projets, tellement le pays est agité aux plans social et politique.

«C’est aussi difficile pour nous de l’AQANU que pour nos partenaires haïtiens», déplore Grégoire Ruel.

L’AQANU mise sur des partenaires haïtiens. (Photo Hélène Ruel)

Les questions que se pose l’AQANU quant à sa pérennité s’appliquent également à son financement. Les stages constituaient un moyen de sensibiliser et de recruter des membres, d’assurer une relève, poursuit Grégoire.

«Moins l’AQANU pilote de projets, moins elle a de la visibilité auprès du public et moins elle peut stimuler les nouvelles adhésions. Les membres vieillissent et manifestent moins de ferveur. Ce qui faisait la force de l’Association, c’était les liens d’amitié qu’elle avait tissés; c’est plus difficile de les maintenir en mode virtuel. Ça prendrait des énergies nouvelles!», s’exclame-t-il.

Ce qu’espère également Danielle Marcotte du côté de l’AQANU-Montréal. «Je veux maintenir le groupe vivant et tenir le fort en espérant que les jeunes qui ont un autre regard donnent un nouvel élan au financement.» Elle mise aussi sur l’engagement de membres originaires d’Haïti constitue un atout pour l’AQANU, dont le conseil d’administration national est presque entièrement composé de gens d’origine haïtienne, en commençant par son président Dr Emilio Bazile.

Miser sur la crédibilité

Dans les Bois-Francs, Réginald Sorel, qui a aussi présidé l’AQANU (2014 à 2019), croit que l’Association devra développer davantage de partenariats avec d’autres organisations, d’autres bailleurs de fonds, comme des syndicats et des fondations. Et elle devra aussi acquérir de l’expertise pour demander des subventions.

«Les grands jours de financement de projets en Haïti par Affaires mondiales Canada, c’est fini!, affirme-t-il. Si l’AQANU a pu obtenir du financement de l’ACDI pour construire l’École de formation professionnelle Mark Gallagher, c’est que le contexte était spécial – après le séisme – et qu’on avait noué un partenariat avec l’organisation des amis de Mark Gallagher au Nouveau-Brunswick.»

L’AQANU s’est butée à un refus du ministère québécois des Relations internationales pour deux projets. Ils ont finalement pu se réaliser avec la Centrale des syndicats du Québec (CSQ). C’est donc comme retraité de la CSQ et non comme membre de l’AQANU que Réginald a pu œuvrer à la mise en place d’une bibliothèque publique à Port-au-Prince et d’un programme de formation des maîtres.

Réginald se souvient du fameux souper haïtien qu’organisaient Ricardo Dorcal et son équipe dans les Bois-Francs. Les activités de ce genre requièrent beaucoup de travail pour ce qu’elles rapportent, déplore-t-il. «Je crois qu’il est important de maintenir des activités de visibilité et de sensibilisation, mais on ne devrait pas compter que sur cela pour financer l’AQANU.»

D’ailleurs, poursuit-il, il est devenu encore plus laborieux de convaincre le public de donner de l’argent pour Haïti. «Les gens se demandent ce que ça donne d’envoyer de l’argent dans un pays d’où émanent tant de mauvaises nouvelles et miné par la corruption. On a vu le gâchis de l’utilisation des fonds et du manque de coordination des organisations non gouvernementales après le séisme.»

Pierre Gosselin partage ce point de vue, ajoutant que lorsque les médias traitent d’Haïti, ils ne mettent en évidence que les événements liés à la corruption et à la violence.

Il appartient à l’AQANU de démontrer que les projets qu’elle finance améliorent à court et moyen terme le quotidien des Haïtiens, dit encore Réginald. «C’est à nous de faire valoir que nos partenaires en Haïti sont honnêtes, fiables et efficaces.»

«On ne révolutionne pas le pays»

«On ne révolutionne pas le pays», renchérit Danielle Marcotte. «Avec les cantines scolaires que nous soutenons, nous permettons à des producteurs de vendre leurs produits, à des femmes qui cuisinent d’en tirer un petit salaire et à des écoliers de manger. Oui, on peut dire qu’on cultive l’espoir.»

Grégoire Ruel n’en pense pas moins. Même les petits projets prennent de la valeur, croit-il, dans un pays où l’indigence est le pain quotidien.

Hélène Ruel

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